(Article) Relire le Vicomte de Bragelonne

Simon Eine, Sociétaire honoraire de la Comédie Française et Ami de Dumas, écris un très joli texte sur le Vicomte de Bragelonne, nous le partageons donc ici.

Personne ne me l’a demandé, mais je tiens à exprimer une opinion à propos de cette liste des dix livres préférés qui circule actuellement:

En préambule, je dirais d’abord que les livres que je préfère sont d’abord ceux que j’ai envie de relire de temps en temps, selon mon humeur du moment, un peu comme lorsqu’on s’éveille le matin avec une envie de prendre l’air, d’aller respirer à la campagne, de manger du pot au feu ou de la daube, ou une tarte Tatin ou des spaghettis, ou tout autre plat dont on garde en soi le souvenir plus ou moins enfoui qui, tout à coup, sans raison particulière, fait irruption dans notre conscience et s’impose à nous comme une nécessité absolue.

Pour moi, il en est ainsi pour les livres. Ainsi, cet été, j’ai relu, pour la dixième fois peut-être,  » Le Vicomte de Bragelonne « . Cela m’a donné envie d’en parler avec un ami, je n’en avais pas un sous la main, alors j’ai eu envie de publier ce désir, de le partager, car ce magnifique roman est d’abord une histoire d’amitié.

Cette re-lecture m’a pris environ six semaines, puis, remontant le temps, j’ai commencé à relire  » Vingt ans après « . Et lorsque j’aurais fini ce second volet, mon intention est de relire enfin  » Les trois mousquetaires « .

Il y a de nombreux livres que je n’ai pas lus, pourtant, je lis beaucoup, même si je lis moins que dans ma jeunesse. Mais ce qui me fascine, c’est à quel point l’enchantement que peut provoquer la lecture d’un livre qu’on a aimé est durable, comme on savoure avec encore plus de plaisir parfois certains passages, comme on s’arrête sur une phrase qui nous fait venir les larmes aux yeux soudain, et qu’on revient au tout début du chapitre qui précède, pour tenter de comprendre comment ce diable de Dumas est arrivé à nous émouvoir à ce point.

Je me souviens du gamin que j’étais la première fois que j’ai fini de lire  » Le Vicomte de Bragelonne « , je me revois pleurant à chaudes larmes au chapitre de la mort de Porthos.

J’ai lu des centaines, peut-être des milliers de livres tout au long de ma vie, beaucoup m’ont bouleversé, séduit, enchanté même, diverti et m’ont aidé à vivre et à comprendre un peu mieux peut-être, la vie. Mais très peu m’ont procuré une émotion de cette nature.

Sans doute parce que nous rencontrons peu de véritables amis. Nous avons des relations, des camarades, des collègues, que nous apprécions et avec qui nous créons des liens parfois durables. Mais une amitié comme celle qui unit ces quatre hommes, cela est rare.

L’amitié engage l’âme sans doute, plus peut-être que l’amour, car dans l’amour les sens aussi sont en jeu. Qu’on ne se méprenne pas, j’ai aimé et j’aime, encore et toujours.

Pour m’exprimer plus clairement, je finirais par une citation de Dumas, à la toute fin du livre au moment ultime de la vie de D’Artagnan, sur le champ de bataille devant Maastricht :

 » …Alors serrant de sa main crispée le bâton brodé de fleurs de lis d’or, il abaissa vers lui ses yeux qui n’avaient plus la force de regarder au ciel, et il tomba en murmurant ces mots étranges, qui parurent aux soldats surpris autant de mots cabalistiques, mots qui avaient jadis représenté tant de choses sur la terre, et que nul, excepté ce mourant, ne comprenait plus : Athos, Porthos, au revoir. Aramis, à jamais, adieu.

Des quatre vaillants hommes dont nous avons raconté l’histoire, il ne restait plus qu’un seul corps : Dieu avait repris les âmes. «